mercredi 12 novembre 2008

Tozeur ravagée par le tourisme

Claude Llena, enseignant et chercheur de Montpelier III, auteur de "Tozeur ravagée par le tourisme", fait le constat effarant que les palmeraies tunisiennes sont en danger. L'eau qui d'habitude irrigue les palmiers est détournée massivement vers les complexes hôteliers et plus récemment vers un terrain de golf. Des centaines de palmiers meurent faute d'arrosage, leur ombre précieuse à d'autres cultures (arbres fruitiers et légumes) disparait. Les agriculteurs n'ont plus les moyens de payer l'eau devenue rare et chère et abandonnent leurs terres pour aller travailler dans les hôtels.
Nos oasis sont probablement voués à disparaitre si cette consommation non raisonnée continue.

Tozeur, ravagée par le tourisme
Tozeur est une petite ville de Tunisie, à la frontière de l’Algérie et au
nord-est du Sahara. C’est aussi, irriguée par 200 sources, l’une des
oasis les plus célèbres du monde. Elle abrite une splendide palmeraie
de plus de 1 000 hectares avec 400 000 arbres. Un véritable coin de
verdure entouré de dunes (erg) et de désert de pierre(reg).

Depuis des générations, la palmeraie nourrit les êtres humains qui y vivent, ces Homo situs intégrés au biotope du territoire
La production maraîchère (salades, blettes, carottes, bananes,
dattes...) garantit l’équilibre alimentaire d’une population
sédentarisée ; l’organisation agricole, centrée sur une utilisation
raisonnable de l’eau, permet une production vivrière importante. Depuis
le XIVe siècle, le plan d’irrigation d’origine arabe assure une
répartition de l’eau mesurée par le « gadous », ou sablier hydraulique.
Chacun a alors accès gratuitement à l’eau qui circule dans toutes les
parcelles grâce à un ingénieux réseau d’irrigation. Les conflits
inhérents à l’arrosage sont réglés par un tribunal populaire souverain
qui assure l’équilibre social d’une population autosuffisante sur le
plan alimentaire. Tout le monde trouve sa place dans cette organisation
qui assure au groupe les moyens de sa reproduction.

Or ce fragile équilibre économique et social va être fortement remis
en question au début des années 1990, période durant laquelle le
gouvernement donne la priorité au tourisme international. Il finance la
construction d’un aéroport international à Tozeur pour désengorger la
côte surpeuplée de la Méditerranée. Une douzaine d’hôtels de grand
standing apparaissent pour attirer des touristes du monde entier vers
des séjours clés en main. Tout est garanti par le tour-opérateur, de la
fête berbère le soir, avec musiciens « folklorisés », jusqu’à la
méharée de quelques heures sur des dromadaires.

Coupés de toute communication avec la population locale, les
visiteurs participent à cet apartheid touristique dans la juxtaposition
d’un monde schizophrène où les quelques contacts existants sont
d’origine commerciale. Ce qui ne permet à aucun moment aux deux mondes
de se comprendre ou de partager les mêmes préoccupations. Cantonnés
dans un rapport social de consommation, les visiteurs consomment l’eau
sans retenue : forages pour l’irrigation, les jardins et les pelouses,
et canalisations d’eau potable assurent l’approvisionnement des
réserves à touristes. « Celui qui voyage sans rencontrer l’autre ne voyage pas, il se déplace
Il emmène avec lui ses représentations du monde et repart avec les
mêmes idées, renforcées par l’expérience puisqu’il n’a pas su
s’enrichir au contact de la culture des peuples autochtones.

Couplée à une fragilisation du régime des pluies et à une montée
générale de la moyenne des températures annuelles, la situation des
agriculteurs de la palmeraie s’est ainsi fortement dégradée. Gérée
historiquement de manière raisonnable, l’eau est devenue un bien comme
les autres. « Celui qui peut payer obtient le produit. »Cette
substance abondante est devenue rare en se marchandisant. Elle est
désormais payante pour l’arrosage de la palmeraie (150 euros par
hectare et par an pour un arrosage hebdomadaire). A ce prix, peu
d’agriculteurs ont pu survivre. Progressivement, les travailleurs de
l’oasis quittent le travail des champs pour se consacrer aux activités
touristiques. Ils passent rapidement de la logique de l’Homo situs à celle de l’Homo economicus, tournant le dos à des siècles de survie sur leur territoire.

Le mythe du désert


Cela ne sera pas sans conséquences sur les personnes les plus
fragiles de la communauté, c’est-à-dire les jeunes. Quelques-uns vont
trouver des emplois fixes (CDI) dans les hôtels et chez les
tour-opérateurs de la ville. La grande majorité, plus flexible encore
(CDD ou intérimaires), sert de réserve pour s’ajuster à la demande
touristique. Or, depuis les événements du 11 septembre 2001, ce secteur
d’activité est en crise. Ainsi, avec plus de 40 % de chômage, toute la
zone se trouve maintenant dépendante de l’offre extérieure.

Tout d’abord sur le plan alimentaire. Les légumes arrivent tous les
dimanches de l’extérieur : ils sont produits dans des lieux à forte
productivité, où les équilibres écologiques et sociaux sont bousculés,
mais avec des coûts de production inférieurs à ceux de la palmeraie. Le
calcul et la philosophie en termes de coût se sont imposés à la place
de la capacité d’auto-organisation des peuples de la palmeraie. L’économisme larvé a déstabilisé le fragile équilibre du territoire.

Ensuite au niveau financier. Face au manque de liquidités,
l’économie touristique demeure la seule source de revenus monétaires.
Mais cette activité dépend du contexte international. Alimenté par les
médias, le mythe du désert connaît, il est vrai, un certain succès.
Toutefois, même les prix attractifs pratiqués ces derniers temps ne
peuvent contrebalancer la crainte du terrorisme.

Enfin dans le domaine culturel. La référence devient le modèle
occidental. L’attraction du tourisme de masse génère des besoins que la
production locale ne peut satisfaire. Les jeunes sont prêts à vendre
leur âme pour obtenir une pièce, un objet ou même une adresse...
Premiers éléments de l’illusion migratoire qu’ils entretiennent comme
seule issue à leur frustration. Ces relations fugitives masquent la qualité de l’accueil traditionnel.

Ahmed, vieil écrivain public de la ville, en est le témoin : « Il
y a quelques années encore, les jeunes voulaient bien faire des efforts
pour respecter la tradition... Mais maintenant, cette jeunesse nous
désespère. Ils ne veulent plus travailler la terre de nos ancêtres, ils
préfèrent se pervertir au contact des groupes de touristes. Ils
cherchent l’argent et pas l’amitié : ce sont deux choses différentes.
Le musulman doit accueillir l’étranger et partager avec lui ce qu’il
possède de meilleur. – Vous n’essayez pas de leur montrer où
sont les valeurs du peuple tunisien ? – Bien sûr, mais ils sont
fascinés par le monde occidental... »

La minorité possédante et le capital touristique du Nord ont
rapidement mis la main sur cette rente touristique au détriment de la
population locale. Pis, le tourisme est regardé comme la seule solution
pour le prétendu développement de la zone. Le vecteur principal de
cette colonisation des imaginaires demeure le mythe du développement et
de l’Occident.

« Autrefois, je travaillais avec mon père à la palmeraie, confie Béchir, 20 ans, assis sur un banc et attendant les touristes.
Mais le travail était dur. Et souvent, malgré nos efforts, on ne
parvenait pas à ramener l’argent nécessaire à la famille. Avec le
tourisme, il n’y a plus de place pour l’agriculture, ici, à Tozeur. Le
travail que faisaient nos anciens, nous, on n’est plus prêts à le
faire. On préfère travailler avec les touristes. » Et si les touristes ne viennent pas ? « Eh bien, on attendra qu’ils arrivent... La situation finira bien par s’améliorer ! »

Cette pollution physique et morale est symbolisée par le recul de la
palmeraie au profit du désert. Seules 25 % des terres sont cultivées,
et de nombreux palmiers meurent faute d’arrosage et d’entretien. La
palmeraie sert de réceptacle à bouteilles en plastique d’eau minérale –
résidu matériel et dérisoire de la pollution touristique.

De plus, depuis l’année dernière, un chantier pharaonique de
construction de golf en plein désert défigure les abords de la
palmeraie. Comment faire pousser du gazon avec 50°C à l’ombre durant la
moitié de l’année ? C’est le pari relevé par ce chantier de
terrassement qui va puiser dans la nappe phréatique pour maintenir des
gazons plantés en plein désert. On peut donc penser que le pire est
encore à venir...

Voilà comment une région jadis autosuffisante au niveau alimentaire,
fière de sa culture et de son identité, a laissé à une minorité le soin
d’organiser son présent et son avenir. Les projets développementistes
tournent le dos à la tradition pour imposer une industrie hôtelière et
touristique au service des Occidentaux et d’une minorité possédante,
qui pourront faire du golf sous les palmiers ... Plaisir obscène et dérisoire, qui remet en question les fragiles équilibres écologiques et sociaux de la population locale.

En attendant les touristes, et malgré les préceptes fondamentaux de
l’islam, une partie de cette population déstructurée s’adonne à
l’alcool pour oublier qu’elle a vendu son âme et sa palmeraie. C’est
d’ailleurs dans la palmeraie même que se regroupent les buveurs, à
l’abri des regards, à la fraîcheur de l’ombre des palmiers et,
peut-être aussi, de manière symbolique pour honorer ce qui a fait la
fierté, puis le désenchantement, des peuples de la région.




Claude Llena



http://www.monde-diplomatique.fr/2004/07/LLENA/11308

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5 commentaires:

Bugsbunny a dit…

désolé mais c'est trop aberrant pour me taire.

Si l'auteur de cet article est de bonne foie le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est ignorant en la matière de la problématique de l'eau de la région, qu'il est a mille lieu d'être un scientifique. Autrement il y a beaucoup de démagogie dans ce qu'il écrit et par moment il devient hilarant. C’est un article dont j’ai eu écho il y a quelques années et là j’ai la possibilité de le lire. Franchement rédiger un article pareil et avancer de tels arguments est irresponsable.

L'eau qui d'habitude irrigue les palmiers est détournée massivement vers les complexes hôteliers et plus récemment vers un terrain de golf. C’est faux. L’eau qui irrigue le terrain de golf est une eau usée qui est récupérée de la station d’épuration de L’ONAS.

Des centaines de palmiers meurent faute d'arrosage, leur ombre précieuse à d'autres cultures (arbres fruitiers et légumes) disparait. C’est faux. Bien au contraire il y a une importante extension des palmeraies sur la région de Tozeur et ses environs.

Les agriculteurs n'ont plus les moyens de payer l'eau devenue rare et chère. C’est faux. Pour avoir une idée sur un hectare il y a en moyenne 160 palmiers. Un palmier rapporterait au bas mot 90 dinars. En gros le cout de l’eau que paierait l’agriculteur pour un hectare par an équivaut à ce que lui rapporterait deux palmiers sur les 160 par hectare. Tu vois un peu le rapport.

et abandonnent leurs terres pour aller travailler dans les hôtels. C’est faux. Le travaille dans une palmeraie a toujours été un travail saisonnier.

je ne défend pas le tourisme ni la politique de l'état dans le domaine il y a certes beaucoup à dire. mais ainsi présenté ... franchement là Claude Llena passe pour un clown.

je suis disposé à discuter sur tout ce que tu veux concernant le sujet...erpan

Nada a dit…

Merci Bugsbunny pour ces informations. Cela se complique, ou se situe la réalité dans tout ça ?

Bugsbunny a dit…

Encore un post sur le sujet.

les vrais raisons du stress hydrique que commence à ressentir la région et par ailleurs tout le sud Tunisien, Est que la nappe d’eau profonde qui représente le réservoir dont on puise l’eau atteint sa limite. Actuellement la qualité de l’eau commence à ce dégrader et continuera à le faire jusqu’à ce qu’elle devienne inutilisable à cause de la salinité. rien à voir avec le Tourisme.

Je ne suis pas un natif de la région. Je ne l’ai connu qu’il y 10 ans d’abord en tant que touriste, ensuite j’ai eu à réaliser une étude sur certaines zones humides du Sahara parmi elles chott el Jerid, et actuellement je mène une nouvelle étude dont l’objectif est d’estimer les prélèvements d’eau qui s’effectuent sur les nappes profondes. Parmi les zones étudiés, Tozeur.

Il y à, tout juste 10 jours, J’y ai effectué une visite de terrain. De bout en bout à l’Est la palmeraie de Dghimes à l’Ouest les palmeraies de Nafta. J’ai visité toutes les palmeraies de la région Tozeur Nafta sans exception. Et je soutien qu’en l’état actuel, nous ne voyons rien du tableau macabre dépeint par l’auteur de cet article. « Seules 25 % des terres sont cultivées, et de nombreux palmiers meurent faute d’arrosage et d’entretien. La palmeraie sert de réceptacle à bouteilles en plastique d’eau minérale – résidu matériel et dérisoire de la pollution touristique. ». Mon constat fut totalement différent de cette image. Il est vraiment très rare de rencontrer une palmeraie laissée à l’abandon. J’y suis allé en pleine période de récolte et partout les gens s’activaient autour de cette agriculture.

Claude Llena dresse un état des lieux totalement faux, un scénario digne du dernier des mohicans pour incriminer les projets touristiques dans la région de Tozeur comme étant la cause principale qui a conduit à un désastre écologique et social. Avec comme facteur principal les problèmes de manque d’eau qui sévit sur la région. Moi je dis que la causalité du tourisme aux problèmes de l’eau dans la région est très discutable. Et même si elle existe, elle est très minime.

J’ai comparé l’évolution des palmeraies sur la région depuis 1972 (il n’y avait pas encore les forages profonds) jusqu’à aujourd’hui ( 2008 ) les superficies des palmeraies ont augmenté allant de 3 700 Ha en 1972 à 6 800 Ha en 2008 et la tendance aujourd’hui est encore à la hausse. Pour ces chiffres, Je me base sur des images satellites et mes visites de terrain. Cette évolution n’a pu être possible que grâce à l’exploitation des forages qui puisent dans un IMMENSE RESERVOIR d’eau profonde. Les eaux fossiles de bassin trans-frontalier du système aquifère septentrional du Sahara.

Par immense, j’entends 1 million de km² il s’étant sur 1700 Km en large du golfe de Syrte en Libye à l’Est, à la frontière marocaine en Algérie et sur 900 km en long de Biskra à Ain SALAH en Algérie. la Tunisie ne couvre que 7% de ce bassin. Il est à 71% sous l’Algérie.

Et par réservoir, j’entends que c’est une eau qui ne se renouvelle pas ou très peu contrairement aux nappes phréatiques. Plus encore c’est un réservoir partagé avec nos voisins. Quand nos voisins exploitent cette réserve elle diminue dans son ensemble et donc aussi pour la Tunisie. Et tant qu’elle est exploitée elle viendra inéluctablement à tarir.

Quand cette réserve d’eau viendra à tarir il est évident que les 3 000 Ha de nouvelles palmeraies déclineraient. Et malheureusement un modèle à prédit son tarissement dans une vingtaine d’années en gros. Qui sait ? Actuellement la qualité de l’eau commence à être altérée, la salinité augmente et les débits ont nettement diminué depuis déjà bien longtemps. Les agriculteurs font beaucoup attention à l’utilisation de l’eau les drains (qui récupèrent le surplus de l’eau de l’irrigation) sont pratiquement sec cela veut dire qu’il n’y a pas de gaspillage. On remarque que souvent les agriculteurs arrêtent de faire de la culture étagée et qu’ils privilégient les palmiers devant les arbres fruitiers et les maraichages ou les fourrages. s'il n'y a pas de gaspillage c'est que dans la région pour atteindre les nappe profondes il faut forer à 700 m de profondeur. un tel forage coute dans les 350 000 DT, les particuliers ne peuvent pas se le permettre et c'est une aubaine pour la région. donc c'est l'état qui s'est toujours charger de récupérer l'eau et de la vendre. la région de Tozeur peut être considérée comme un modèle. sur d'autres sites par exemple la région de Kebili la nappe n'est qu'à 80 m. les forages illicites sont fréquents et les agriculteurs abusent dans l'exploitation de l'eau et le problème au niveau des palmeraies est encore plus grave. pareil pour la région de El Oued SOuf en Algérie (150 km à l'Ouest de Tozeur) ou à Ouargla parfois la nappe n'est qu'à 50 m et tellement les populations abusent dans les prélèvement que la nappe phréatique remonte et étouffe les réseaux d'assainissement de ces villes. des villes qui étouffent dans leurs eaux fécales des terres agricole submergées par l'eau ... ça c'est un désastre ... on est loin du cas de Tozeur.

Dans les régions du Sud tunisien cette eau est aussi utilisée pour l’eau potable et donc aussi par les installations touristiques. En tout On compte 12 hotels à Tozeur et 6 à Nafta. On projette déjà à transférer les eaux du nord pour alimenter les réseaux d’eau potable du sud. je ne suis pas un spécialste du tourisme mais on pourrait sommairement se pencher sur la question quel serait la consommation en eau de ces installations touristiques? y a-t-il vraiment de l'eau qu'y soit gaspillée... sinon l'impact social et culturel existe certainement...

Alternaute a dit…

Merci BugsBunny pour ton commentaire tres intructif et qui donne un point de vue plus concret que l'article. Il est en effet tres interessant d'avoir les avis de tous les experts concernant cette region. Serait il possible de publier votre reponse et votre analyse afin de mettre les pendules à l'heure ?
Merci par avance.

Bugsbunny a dit…

oui avec plaisir.